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Indicatifs noirs



Il paraît facile pour un orateur de parler de sa folle jeunesse mais, lorsqu’elle fait resurgir des souvenirs et que les auditeurs les comparent à ceux qu’ils ont partagés, on constate souvent qu’il n’y a pas unanimité.
Ce préambule est destiné à solliciter l’indulgence des lecteurs de cet article, mais aussi pour « lancer le bouchon » à ceux qui ont leurs propres souvenirs afin qu’ils prennent la plume à leur tour pour compléter ou corriger ce qui va être proposé.


En effet, ma folle jeunesse c’est celle de l’émission d’amateur au cours de la période 1945 à 1947 et, à l’époque, il faut bien avouer que nous étions presque tous des noirs !
Dix-sept ans en 1945, déjà blasé par le bricolage des récepteurs BCL, parcourant la bande des ondes courtes, je découvris à l’écoute du 20 et du 40 mètres un monde extraordinaire : c’était un langage ésotérique, une courtoisie déjà rare à cette époque dans les échanges, une réserve dans le contenu de la conversation qui ne dépassait pas l’échange de contrôles sur la qualité des émissions, du temps (WX) et de la description du matériel utilisé. Cependant, nous entendions une écrasante majorité d’étrangers, parlant l’anglais, l’italien, l’allemand ou même le français avec néanmoins un accent « pas bien de chez nous ! ».
En effet, les autorisations d’émission avaient été suspendues en 1939 dès la mobilisation générale en France et le matériel réquisitionné. Après la Libération, les autorisations tardaient, je ne sais pourquoi. Toujours est-il que seuls quelques F8 et F3 (à deux lettres !) autorisés avant guerre hantaient nos bandes alors que les Suisses, les Belges et Luxembourgeois étaient les maîtres du 40 mètres.
J’ai dit des F3 et F8 à deux lettres, ce qui était la règle pour les indicatifs attribués avant la guerre, leur nombre ne nécessitant pas l’utilisation de trois lettres. Or, on entendait des F8 avec trois lettres et même des F7 à deux lettres : ces indicatifs anormaux étaient des « noirs » qui transmettaient sans autorisation. Anciens F3 ou F8 n’étant pas à nouveau autorisés, amateurs ayant fait leur demande en 1939 mais n’ayant pas obtenu leur indicatif, tout ce monde transmettait dans l’attente de leur future autorisation. Il faut y ajouter les nouveaux mordus qui piaffaient d’impatience de toucher un micro ou un manip. Alors, tout ce petit monde pompait en se fabriquant un indicatif ; je ne sais qui a eu l’idée de prendre trois lettres et qui a inventé le F7…


Ces écoutes, associées à la lecture du Journal des 8, Radio-REF et autres Radioplans de provenances diverses, m’a donné le virus : j’ai été contaminé je devrais même dire infecté et je n’ai plus pensé qu’à « pomper ». Fréquentant le marché aux puces de Villeurbanne, j’ai pu acquérir du matériel et monter ma première station. Oh ! ce n’était pas du QRO : une 59 en pilote ECO. Alors, je tentais ma chance, avec simplement pour l’écoute un BCL Sonora qui était très bon en ondes courtes. Sans ondemètre, je me mis à transmettre … en ondes courtes, entre 20 et 50 mètres !
Au passage, je me souviens que j’utilisais un micro charbon récupéré sur un combiné téléphonique et qu’il attaquait la prise pick-up du BCL dont la sortie haut-parleur supplémentaire modulait la 59 (par le suppressor). Comme deux autres fous, rencontrés au dit marché aux puces, qui habitaient à quelques centaines de mètres de mon QRA à Lyon, et qui tentaient la même chose que moi (construire un TX), nous avons ainsi fait nos premiers QSO avec quelques mégahertz d’écart entre nos fréquences ! C’est ainsi que F8ALS, F8KCN et votre serviteur F8BAJ, firent leurs premières armes en 1945.


Ayant appris que des réunions du REF se tenaient à Lyon le premier jeudi de chaque mois, nous décidâmes de nous y rendre. Nous nous retrouvâmes, tout confus d’être aussi jeunes, confrontés à un aréopage composé d’hommes qui étaient largement nos aînés en âge et nous le supposions, en expérience d’émission d’amateur. Lorsque l’un d’eux, F3KF, vint à dire : « J’ai entendu, hors bandes, des stations très fortes qui trafiquaient, transmettaient de la musique, dont un disque de rires ». Ces OM chevronnés virent se lever ensemble les trois jeunots disant d’une seule voix et avec fierté « C’est nous ! ». En fait, F3KF habitait à l’intérieur d’un triangle formé par nos trois QRA et il n’était pas étonnant qu’il nous entende aussi fort ! Alors, vint le conseil des anciens : bien qu’étant noirs, vous devez émettre dans les bandes amateurs pour ne pas gêner les stations de radiodiffusion en ondes courtes et autres trafics officiels. C’est ce que nous fîmes alors.


Ce trafic intra-muros ne me satisfaisant pas, je construisis alors une station plus évoluée avec comme pilote une 59 montage ECO + une 807 au PA modulée écran. Passant mes vacances à Saint-Julien-Molin-Molette dans la Loire, dans la vieille maison de famille qui nous accueillait chaque été, je tendais une antenne Hertz entre une cheminée et un mât en pin fixé au bout du jardin et vogue la galère !
C’est ainsi que F7DD, indicatif de mon choix car facile à décoder, fit ses deux premiers QSO sur 20 mètres avec G2OS et OZ1S, en septembre 1946. Ces QSO en anglais ne m’ayant pas beaucoup amusé, je modifiais le TX pour trafiquer sur 40 mètres. Rejoignant la bande des noirs, je débutais le dimanche premier septembre avec F8JKU et F7AC ! Cela continua jusqu’au vingt-sept octobre avec F7KW avec, au passage des Suisses et des Luxembourgeois (autorisés) et même des OM Français autorisés ! En effet, certains d’entre eux, las du peu de contacts possibles, transmettaient aussi en noir pour pouvoir satisfaire leur fringale. La prescription jouant et, de plus l’OM ayant rejoint le paradis où la propagation est toujours bonne, je peux citer F3GN de Saint-Marcellin dans l’Isère qui changeait de micro et d’indicatif : F7BB, le pays du bon vin !!! Et beaucoup de fantaisie aussi avec F7NZ qui aimait aussi se dire A335 soldat américain en Allemagne (il était à Brioude !).
Bien entendu, tout cela en phonie et, voyez le luxe, avec échange de QSL ; je les confectionnais moi-même à la main avec un gros F7DD en donnant le report et les 73’s.


Cependant, il fallait rentrer à Lyon, les week-ends à la campagne n’étant plus de mise avec le froid venu. La difficulté de mettre une longue antenne et l’envie de faire « plus technique » m’incitaient alors à me lancer dans le 5 mètres. Je n’ai pas noté les QSO effectués à cette époque où nous trafiquions avec une superréaction à la réception et un émetteur vaguement piloté. Nous nous gênions mutuellement par suite du rayonnement de nos récepteurs car nous habitions très près les uns des autres. Pour contacter Villefranche-sur-Saône, il fallait commencer le premier et accrocher le correspondant et occuper la bande, sinon…


L’envie d’avoir un indicatif est venue naturellement à nous car les autorisations des F9 avaient commencé. Aussi, les futurs F9LJ, F9LN, F9LS et moi-même, allions suivre des cours de morse, passage obligé, pour l’examen. Notre professeur était un inspecteur de ce que l’on appelait la radio-police, branche de la DST qui surveillait l’éther. Il nous disait bien entendu qu’il ne fallait pas émettre avant d’être autorisé ! Toujours est-il qu’étant prêts assez rapidement, nous pouvions demander à passer l’examen. Je fus le seul à le faire pour cette année là, mes camarades ayant choisi d’attendre l’année suivante celle-ci étant déjà bien entamée. Alors, je passais avec succès l’examen à mon domicile et reçu mon Certificat d’Opérateur daté du 30 juin 1947 et mon autorisation en date du 8 juillet (quelle rapidité) avec l’indicatif  F9HX.
Mon premier QSO officiel fut avec F3KF sur 5 mètres le 17 juillet 1947.

A ce moment, mon histoire de noir aurait pu largement être oubliée, eh bien non, le passé vous suit et parfois même vous rattrape ! Un matin deux inspecteurs vinrent me remettre une convocation pour un interrogatoire à tenir dans les bureaux de la DST, Place Saint-Jean à Lyon. Lorsque je suis arrivé, je me suis trouvé en face de plusieurs inspecteurs ou agissant comme tels, fumant dans une pièce exiguë et me disant ex abrupto : « Vous avez fait de l’émission sans autorisation avant que d’être autorisé. Nous en avons la preuve formelle puisque nous avons trouvé en perquisitionnant chez un de vos complices, une carte de votre main, datée, signée, relatant les faits qui vous sont reprochés ».
Que faire, sinon reconnaître les faits car, de plus, le centre d’écoute de la région parisienne m’avait enregistré à de nombreuses reprises et l’on m'a fait entendre ma voix grâce à un magnétophone à fil pour bien me faire comprendre la gravité de la situation. Ce n’était pas fini. Car, si mon « complice » avait été identifié comme F7KK alias F9EG, on m’a alors demandé qui était qui : vous avez contacté F8KCN à plusieurs reprises avec des messages impliquant votre père pour vous apporter un tube 81 le vôtre étant pompé, et puis qui sont F7AF, F7RL (j’ai tout noté en rentrant chez moi après cette séance !), etc.
Alors, je ne dirai pas ici si je connaissais ces OM, mais ceux qui sont encore en vie se reconnaîtront ; à la DST j’ai simplement dit que l’indicatif F7DD que je m’étais attribué avait aussi été utilisé par d’autres dont le prénom devait être aussi André et qu’il ne fallait pas me mettre sur le dos tous les QSO qu’ils avaient entendus avec cet indicatif.
Cette explication les a satisfaits car, je crois, qu’ils ne souhaitaient pas poursuivre d’autres personnes de la région. En effet, au centre d’écoute de Feyzin près de Lyon avec les RX modèle RU 93 on savait bien qui était qui depuis longtemps, sachant que F9DU et notre professeur de morse étaient membres de leur boutique! Hélas, une autre brigade avait lancé l’inquisition et ils ont été obligés de suivre !
Je me suis alors présenté au Tribunal des Enfants, eh oui ! à 19 ans on était mineur, avec mon père navré  de se trouver engagé dans cette galère. Accompagné d’une assistance sociale (hi !) et d’un avocat, mon père fut condamné le mardi 13 juillet 1948 pour « Détention et utilisation d’un poste radioélectrique d’émission sans autorisation du gouvernement ». Je ne sais plus quelle était l’amende car elle fut amnistiée par l’élection du Président Vincent Auriol.
Cependant l’histoire ne s’arrête pas là ! J’ai été condamné administrativement à un an de suspension de mon autorisation. Des scellés furent installés sur mon émetteur 5 mètres (un bout de fil de cuivre dans la self du PA) et au revoir pour un an !


J’ai alors eu le temps de peaufiner un nouveau matériel ; je repris mes émissions sur 40 m à partir de Lyon le premier janvier 1949 et sur 72 MHz le 5 mars suivant. Et puis les années ont passé, les QRA aussi. Le 144 MHz, le 432 MHz, le 1296  MHz et le 10 GHz ont été les bandes utilisées d’un trafic souvent ralenti ou même interrompu par des occupations professionnelles très prenantes.


Aujourd’hui, lorsque je me remémore cet automne 1946, je pense à ces OM que j’ai contactés et dont la plupart me sont parfaitement inconnus. Sont-ils au paradis des OM, sont-ils des OM ayant un indicatif ? Qui êtes-vous F8JKU, F7AC, F8VKM, F3ZOR (région Centre 56 W input), F7KO (Jura), F7AB (région de Lyon), F3Z, F7CG ( le Coq Gaulois), F7RP (30 km ouest de Paris), F8P, F7BU (211 modulée grille), F8CIT (Paris avec 807 modulée plaque PP6L6), F7JP, F8HBW (130 km nord d’Orléans avec sa 807), F8KUZ, F8LPB (le Paysan Breton avec sa 6V6 Eco + 807 au PA), F7KW (Macon), F7ZR (Gers), F3X, F3FLO, F8BTH (environ de Besançon avec sa RL12P35), F7BZ (Laon ), F8RIA (Belfort), F7RL, F8JCR (Pas de Calais), F7OT (sud de Paris), F8BCA (110 km est de Paris), F3U ?


Encore une fois, je ne voudrais pas que l’on croît que je veuille faire l’apologie de l’émission sans autorisation et inciter les personnes attirées par cette passion de suivre mes pas. L’époque n’est pas la même, sans aucune autorisation on peut trafiquer aujourd’hui dans les bandes CB, les examens pour obtenir un indicatif d’amateur ne requièrent plus la connaissance du Morse et, même si l’administration met plus de temps aujourd’hui qu’elle n’en a mis à mon époque pour me délivrer un indicatif, un peu de patience ne nuit jamais. De toute façon, même s’il semble que la radio-police (ou ce qui est son équivalent aujourd’hui) ait d’autres chats à fouetter que de rechercher si une personne est autorisée ou pas à faire de l’émission, il vaut mieux respecter la loi, c’est un homme averti qui vous le dit !


André, F9HX